Longtemps perçu comme une solution incontournable pour pallier le manque de personnel, le recours aux soignants intérimaires bat aujourd'hui de l'aile: de plus en plus d’hôpitaux limitent, voire abandonnent totalement, l’emploi de personnel temporaire.
Alors que l'Hôpital universitaire de Zurich et l'Hôpital de Bülach ont drastiquement réduit le nombre de postes temporaires à temps plein – passant respectivement de 60 à 10 et de 185 à 30 –,
l'Association des hôpitaux zurichois (VZK) a récemment annoncé une mesure radicale: dès l'été 2025, ses 35 institutions membres – hôpitaux de soins aigus, cliniques de rééducation et de psychiatrie, ou encore centres de soins – cesseront totalement de recourir au personnel soignant temporaire. L'Association des cliniques privées zurichoises (
Zürcher Privatkliniken), s'est également ralliée à la décision quelques jours plus tard.
Ce revirement illustre l’opposition grandissante des établissements à une tendance amplifiée par la pandémie: certains soignants quittent leur poste fixe pour être réengagés par des entreprises de travail temporaire à de meilleures conditions. Ce qui n’était qu’une solution ponctuelle est devenu une pratique courante, pesant lourdement sur les finances des hôpitaux en raison du coût élevé de l’intérim.
Économies contre surcharge de travail?
«Le départ d’employés frustrés et épuisés coûte bien plus cher que le recours au travail temporaire. S’il est utilisé à bon escient, l’intérim peut même améliorer les conditions de travail et, à terme, générer des économies»,
affirme Philipp Balscheit, responsable du secteur santé chez Coople, une société de recrutement intérimaire, pour Medinside.
La
section zurichoise de l'ASI déplore également les mesures prises à Zurich. Dans une prise de position, elle met en garde contre «un danger majeur pour les soignants»: renoncer aux intérimaires ne réduirait pas la charge de travail des équipes, mais l'alourdirait considérablement.
L’ASI rappelle aussi qu’au plus fort de la crise sanitaire, les hôpitaux réclamaient désespérément des renforts temporaires. Elle juge ce revirement difficilement justifiable aujourd’hui.
Des unités de renfort en interne
Une question clé se pose: Zurich fait-elle figure d’exception ou révèle-t-elle une tendance amenée à s’étendre à la Suisse romande? «Il n'est pas exclu, et de mon point de vue, il serait même souhaitable que cette mesure s’applique à long terme sur l’ensemble du territoire, surtout si ses effets se font sentir dans les mois et les années à venir»,
estime Glen George, président de l’Association des cliniques privées zurichoises, à propos du renoncement au personnel temporaire dans le canton.
Or, jusqu’à présent, les hôpitaux de Suisse romande semblent privilégier une approche plus progressive.
Intérrogés par Medinside, plusieurs établissements affirment avoir mis en place des solutions internes pour garantir la continuité des soins. Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), un pool de renforts internes permet de pallier les absences prévisibles ou prolongées. «Il s’agit d’infirmiers diplômés et de personnel d’assistance qualifié, sous contrat CHUV, qui interviennent directement dans les services cliniques. Cela couvre une part importante des besoins», précise l’institution.
L’Hôpital Riviera-Chablais mise également sur une organisation interne – une unité de gestion des renforts d’équipes – pour limiter son recours aux agences d’intérim. «Celle-ci fonctionne avec des collaborateurs payés à l’heure, disponibles sur appel, un modèle particulièrement apprécié par les jeunes générations, car il leur offre une grande flexibilité», explique l’établissement. Un dispositif qui permet aussi «de disposer de professionnels déjà intégrés et familiers avec le fonctionnement de l’hôpital, ce qui renforce la sécurité des soins».
Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), la priorité est donnée à la réorganisation interne des effectifs. «Nous privilégions systématiquement les ressources internes, qu’il s’agisse d’un pool centralisé de soignants, de renforts au sein des départements médicaux ou encore de la mobilité du personnel en fonction des besoins et des compétences», indique la direction des ressources humaines.
Intérimaires en dernier recours mais essentiels
Si la tendance est à la réduction du recours aux intérimaires, ces derniers restent perçus comme une solution incontournable dans certaines situations.
Au CHUV, l’intérim est utilisé en complément des ressources internes. «Le CHUV fait également appel à l’interim, essentiellement pour couvrir les besoins supplémentaires lors de pics des taux d’absence et lors de fluctuations soudaines auxquelles le pool ne parvient pas complètement à répondre », indique l’institution. Une approche jugée «complémentaire» par l’établissement.
À l’Hôpital du Valais, la réduction de l’intérim est une réalité, mais pas une suppression totale. Dominik Lorenz, Directeur des ressources humaines du Centre Hospitalier du Haut-Valais (SZO), souligne que «par chance, nous avons pu employer de plus en plus de collaborateurs internes au cours des dernières années. C'est pourquoi le nombre de collaborateurs externes temporaires est en recul chez nous par rapport à d'autres institutions». Une baisse marquée au second semestre 2024, avec seulement 4 à 5 postes intérimaires sur plus de 900 postes à temps plein, soit un effectif réduit à 0,5% contre 1,21% précédemment.
Grégory Quirino, chef du Service RH du Centre Hospitalier du Valais Romand, confirme cette évolution: «Les chiffres du recours au personnel intérimaire varient entre 0,5% et 1% selon la saisonnalité».
Dans certains cas, l’intérim reste une solution indispensable. L’Hôpital Riviera-Chablais rappelle que «lors de jours fériés ou pour des soins très spécialisés, il est difficile de trouver rapidement les professionnels nécessaires, et l’intérim reste une option à envisager».
Vers une flexibilité maintenue
Interrogés sur la possibilité d’une suppression totale du recours à l’intérim, les établissements semblent rester unanimes: cette option n’est pas envisageable.
Le CHUV mise sur une approche préventive en cherchant à réduire le taux d’absence du personnel. «Le CHUV œuvre pour diminuer les taux d’absence de manière générale. Ces taux influencent le recours au pool et au personnel intérimaire», explique l’institution.
Au Centre Hospitalier du Valais Romand, Grégory Quirino insiste sur la nécessité de conserver une certaine souplesse. «Une gestion moderne des RH, la hausse de population saisonnière et la pénurie de l’emploi font qu’il apparaît nécessaire de poursuivre une flexibilité de l’emploi».
Du côté du Centre Hospitalier du Haut-Valais (SZO), Dominik Lorenz rappelle que malgré les efforts pour réduire l’intérim, une suppression totale ne serait pas pertinente. «D'une part, nous enregistrons des fluctuations saisonnières dans le nombre de nos patients, qui peuvent être compensées par le recours à du personnel externe. D'autre part, certains domaines spécialisés (par exemple les soins intensifs) ne disposent pas d'un nombre suffisant de personnel disponible sur le marché du travail». Il souligne également que «des absences de courte durée justifient parfois le recours à du personnel externe temporaire».