Pédocriminalité en salle d'opération: quand le silence du système se fait loi

Alors que s’ouvre en France le procès d’un ex-chirurgien accusé d'abus sexuels sur mineurs, la question de la responsabilité du système de santé se pose. 

, 24 février 2025 à 14:18
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Image: capture d'écran TF1.
Ce lundi, en France, s'est ouvert le procès d'un ancien chirurgien accusé d'abus sexuels sur près de 300 patients et patientes, dont la grande majorité étaient mineurs au moment des faits. La procédure, qui se déroule devant un tribunal correctionnel de Bretagne et devrait se prolonger jusqu'en juin 2025, est désormais considérée comme la plus vaste affaire de pédocriminalité dans le pays.
Le médecin encourt une peine maximale de 20 ans de réclusion. Il a reconnu avoir participé à la plupart des faits reprochés, qui se seraient produits entre 1989 et 2014 dans une douzaine d'hôpitaux. Pendant près de trente ans, l'accusé a consigné dans des journaux les noms, âges et adresses de ses victimes ainsi qu'une description détaillée des abus.

Sentiment d'impunité

Comment de tels agissements ont-ils pu se perpétuer aussi longtemps? Lors de l’instruction, l’accusé a reconnu que sa fonction lui avait permis de «commettre ces actes infâmes».
Tout a commencé dans le cercle familial de l’ex‑chirurgien, Joël Le Scouarnec, où des comportements pédocriminels étaient passés sous silence dans un climat d’omerta, avant de s’étendre aux services hospitaliers. Ainsi, le praticien aurait abusé de patients et patientes âgés de 3 à 11 ans et, pour les adolescents, aurait profité des effets de l’anesthésie.
En 2005, une première condamnation pour détention d’images pédopornographiques ne lui valut que quatre mois de prison avec sursis, sans obligation de soins ni restrictions dans l’exercice de la médecine.
Par la suite, Le Scouarnec obtint un poste dans un nouvel hôpital. Bien que le chirurgien n’ait pas mentionné son casier judiciaire, l’affaire finit par ressortir et un psychiatre en informe le directeur de l’établissement.
Dans le courrier adressé à ce dernier figurent d'autres éléments inquiétants: le praticien aurait, avec véhémence, pris la défense d’un collègue accusé d’agressions sexuelles et de viols – Mohammed Fréhat, condamné plus tard à 18 ans de prison – et aurait décrit certains gestes opératoires en termes à connotation sexuelle.
Refusant alors de démissionner, Le Scouarnec expliqua notamment que personne ne peut l’y obliger.
«C’est à chaque témoin et a fortiori à chaque professionnel en responsabilité au sein d’une institution sanitaire, administrative ou judiciaire qu’il revient d’agir.» —Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants
Suite à la déclaration d’un autre collègue, le Conseil de l’ordre des médecins du Morbihan fut alerté et Le Scouarnec fut convoqué en 2006 pour un entretien. Le directeur de l’hôpital adressa alors un courrier affirmant n’avoir que de «vagues informations sur les faits reprochés» et louant le chirurgien comme «un praticien hospitalier sérieux et compétent», dont «l’arrivée a permis de sortir l’établissement d’une crise grave générée par le départ massif de praticiens hospitaliers en 2001», rappelle «Franceinfo».
Le Scouarnec poursuivit son exercice à Quimperlé jusqu’à la fermeture du service de chirurgie en 2007, avant de s’installer en Charente‑Maritime dans un hôpital également en manque d’effectifs. La directrice, rappelant qu’il n’y avait pas eu «d’agression physique» dans l’affaire jugée en 2005, ne prit aucune mesure particulière.
«Il n’y avait aucun élément nouveau, aucun signalement de victimes ou de la communauté hospitalière», expliqua le vice‑président du Conseil de l’ordre des médecins du département, Jean‑Marcel Mourgues.
Avec le recul, le chirurgien affirme s’être senti «intouchable», un sentiment qui, selon Francesca Satta, avocate de plusieurs parties civiles, illustre à quel point la passivité des instances hospitalières fut complice: «On ne peut pas passer 30 ans en toute impunité sans que personne ne s’aperçoive de rien!».
Jusqu’à la révélation de faits graves en 2017, Le Scouarnec aurait ainsi continué d’exercer. Condamné pour la première fois en 2020, après la dénonciation de ses actes par une voisine de 6 ans, le chirurgien écopait alors de 15 ans de prison pour viol et pour plusieurs agressions sexuelles sur mineures.

Ouverture d'un long procès

À l’issue de quatre années d’instruction, l’ex‑chirurgien est renvoyé devant la justice pour des faits d’une ampleur inédite: viols et violences sexuelles aggravées sur 299 patients, presque tous mineurs au moment des faits. Le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est porté partie civile lors de l’audience ouverte le 24 février 2024 et déclare: «Nous souhaitons vivement que ce procès, dans la continuité de l’instruction, permette de faire toute la lumière sur les crimes abominables commis et que la Justice prononce une condamnation exemplaire, à la hauteur des faits allégués».
Le Conseil affirme également que «la condamnation définitive pour certains crimes et délits, notamment les infractions sur mineurs liées à la pédocriminalité, doit constituer un obstacle à l’exercice de la médecine».
L’audition, prévue pour le mois de mai, de plusieurs anciens hauts responsables des hôpitaux et des services de santé rappelle que nombre d’entre eux avaient été informés dès 2005 du casier judiciaire de l’ex‑chirurgien. Comme le souligne la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants: «Les carrières pédocriminelles sont construites, non par des monstres, mais par des silences successifs de tous les témoins», ajoutant que «C’est à chaque témoin et a fortiori à chaque professionnel en responsabilité au sein d’une institution sanitaire, administrative ou judiciaire qu’il revient d’agir».
«Procès Le Scouarnec: comment le chirurgien pédophile a été protégé par l’omerta médicale», «La Dépêche», émission du 20 février 2025

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