Monsieur Wanner, Zurich est l'un des derniers cantons sans programme officiel de dépistage du cancer du côlon. Est-ce inquiétant?
Pas nécessairement. L'objectif d'un programme de dépistage est de prévenir le cancer colorectal. Selon l'Atlas suisse des services de santé, Zurich a l'un des taux de cancer colorectal les plus bas de Suisse (7e place) et, en même temps, un nombre élevé de coloscopies réalisées (4e place). Quoi que nous fassions, cela semble fonctionner. Je le dis souvent: la prévention du cancer colorectal est moins un problème médical qu'un problème de communication. Il faut en parler pour susciter une prise de conscience. De nombreuses personnes se sentent encore en pleine forme à 50 ans – mais c'est justement le meilleur moment pour faire une coloscopie de dépistage.
Faut-il malgré tout des programmes de dépistage organisés?
Je suis sceptique. À Zurich, les médecins généralistes et les gynécologues sont très attentifs et abordent activement la question du dépistage du cancer colorectal avec leurs patients. Cette méthode peut s'avérer plus efficace qu'un registre centralisé. En fin de compte, c’est une question politique: qui finance le dépistage? Et quel bénéfice peut-on offrir à la population?
«Ce qui est frappant, c'est que le cancer colorectal touche de plus en plus de jeunes.»
Les coloscopies ont longtemps été un sujet tabou, mais aujourd’hui, beaucoup de gens en parlent ouvertement – certains racontent même leur expérience avec entrain. À quoi cela est-il dû?
C'est une évolution positive. Les coloscopies ne devraient pas être un sujet tabou. De nombreux patients évoquent une expérience positive du sédatif propofol. Pour eux, c'est comme si on éteignait puis rallumait la conscience d'un simple clic. Il n’est pas rare que j’entende, au réveil: «C’est déjà fini?»
Diagnostiquez-vous souvent un cancer colorectal?
J’ai l’impression que c’est devenu plus rare – mais c’est un ressenti plutôt qu’une certitude. Je découvre environ un à deux nouveaux cas par mois. Ce qui frappe, c’est que de plus en plus de jeunes sont concernés. Aux États-Unis, l’âge recommandé pour le dépistage a d’ailleurs été abaissé de 50 à 45 ans – et je ne trouve pas cela exagéré.
Parallèlement, les statistiques montrent que le nombre de cas de cancer colorectal chez les plus de 50 ans diminue légèrement en Suisse – tandis qu’il augmente chez les personnes plus jeunes. À quoi cela pourrait-il être dû?
Les causes exactes ne sont pas encore connues, mais des facteurs comme l’alimentation, le manque d’activité physique ou des influences environnementales pourraient jouer un rôle. Les données précises pour la Suisse n’ont pas encore été analysées en détail. Il est donc encore trop tôt pour formuler une recommandation générale. En revanche, une chose reste valable : en cas de symptômes d’alerte, comme du sang dans les selles, il faut consulter un médecin.
Quel est l’objectif du dépistage du cancer colorectal?
L’objectif est de détecter et d’enlever les polypes à un stade précoce. Les polypes sont bénins au départ, mais ils peuvent évoluer en cancer. En Suisse, cela représente environ 4000 nouveaux cas chaque année.
Vous réalisez jusqu’à 12 coloscopies par jour – et, dans le même temps, les prescriptions sur la manière dont vous devez exercer votre métier deviennent de plus en plus détaillées. Comment vivez-vous cette réglementation croissante?
On pourrait presque parler d’une frénésie réglementaire. Parfois, on se sent traité comme un écolier à qui l’on ne fait pas confiance. Aujourd’hui, il y a plus de procédures imposées que de recommandations médicales. On nous dicte avec une extrême minutie comment nettoyer, stocker et entretenir nos appareils – mais presque personne ne s’intéresse à la qualité réelle des résultats médicaux. Pourtant, la priorité devrait être : « Vous êtes responsables de garantir la sécurité des patients et d’éviter les complications. » À la place, on nous surveille dans les moindres détails.
Avez-vous un exemple de ces règlements absurdes?
Oui, un particulièrement curieux : dans notre salle d’attente, nous offrons à nos patients de l’eau du robinet tout à fait ordinaire. Mais pour l’endoscopie, nous n’avons plus le droit de l’utiliser pour rincer les intestins – il nous faut désormais de l’eau stérile. Cela signifie plus de matériel jetable, plus de déchets et des coûts nettement plus élevés. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Ce genre de règles donne l’impression qu’on ne fait pas correctement notre travail – et c’est parfois frustrant.
«Médecin, c’est un métier de rêve. Pour moi, c’est un privilège de pouvoir rencontrer chaque jour des personnes aussi différentes.»
Pourquoi avez-vous choisi de faire de l'appareil digestif votre spécialité?
C’est très simple: j’aime manger! L’appareil digestif est fascinant, car il est lié à chacun, que ce soit à travers des troubles digestifs ou les tendances alimentaires. Et bien sûr il y aussi l’endoscopie... Nous utilisons des appareils très performants, qui sont un peu comme des «jouets pour grands garçons».
Justement, en parlant de tendances alimentaires : que recommandez-vous pour une bonne digestion?
Manger comme nos grands-mères : une alimentation simple, variée, sans excès. Le régime méditerranéen est idéal : des produits frais, de bonnes graisses, et il faut aussi savoir se faire plaisir de temps en temps. Peu de personnes ont réellement besoin d’un régime strict pour des raisons médicales. Cela dit, il est intéressant de constater que le renoncement fait souvent du bien sur le plan psychologique. La plupart des religions prévoient des restrictions alimentaires – cela montre que la discipline consciente nous procure un certain bien-être.
L’intestin est devenu un sujet « tendance ». Que pensez-vous de la hype autour du microbiome ?
Nous, les gastro-entérologues, restons prudents. Le microbiome est incroyablement complexe, et nous sommes encore loin de le comprendre dans son fonctionnement global. Beaucoup de tests analysent la composition bactérienne, mais ce qui compte vraiment, c’est l’interaction entre les différentes souches. Et cela reste, pour l’instant, une boîte noire.
Quel rôle joue l’intelligence artificielle dans votre travail?
Lors des coloscopies, l’IA nous aide à mieux détecter les polypes – ce qui nous permet de repérer davantage d’anomalies. En consultation aussi, nous utilisons des transcriptions assistées par l’IA : un logiciel analyse l’échange entre le médecin et le patient et extrait automatiquement les informations essentielles. Cela nous fait gagner un temps considérable.
Sur LinkedIn, vous avez une grande communauté et vous insistez souvent sur le fait que vous aimez votre métier. Qu’est-ce qui rend cette profession si spéciale?
Médecin, c’est un métier de rêve. Pour moi, c’est un privilège de pouvoir rencontrer chaque jour des personnes aussi différentes – du PDG d’une multinationale à un ancien toxicomane. Cette diversité et le contact humain étroit rendent mon métier unique.
Que souhaiteriez-vous pour l’avenir de la médecine?
Plus de confiance envers les médecins. Au lieu d’imposer toujours plus de procédures, on devrait nous laisser la responsabilité des résultats thérapeutiques. Après tout, notre objectif principal est de soigner les gens.